lundi 11 avril 2011

Une année de tous les dangers...


Nous sommes en 1918. La Grande Guerre vient de s'achever. Les boys rentrent au pays, et les noirs qui avaient des emplois sont souvent virés pour que les rescapés des tranchées puissent reprendre leur travail.Dans le même temps la concertation sociale bat son plein, syndicats, bolchevistes et anarchistes commencent à pulluler aux USA, et beaucoup les mettent dans le même panier.
La situation risque de devenir plus intenable encore quand la prohibition sera en application.
Une ville sera plus chaude que les autres. Bienvenue dans la ville natale de la révolution américaine, bienvenue à Boston !

Luther Laurence est noir. Autant dire qu'il vaut moins pour les blancs que les esclaves d'avant l'abolition. Suite à une erreur avec le crime organisé, il doit fuir et tout abandonner derrière lui.
Danny Coughlin est flic. Fils ainé d'un grand ponte de la police, son avenir semble tout tracé. Hors voila que son parrain Eddie , lui aussi policier, le charge d'infiltrer les milieux subversifs.
Luther et Danny n'avaient aucune raison de se rencontrer. Et pourtant leur rencontre va bouleverser leurs destins, dans une ville au bord de l'explosion…



Dennis Lehane est de ces auteurs qui provoquent une véritable addiction. Une fois un de ces romans lu,il se crée chez le lecteur un besoin compulsif de vite se plonger dans le reste de son œuvre. Une œuvre purement Bostonienne ( à l'instar de Ben Affleck, qui adapta justement un roman de Lehane pour son premier film en tant que réalisateur : Gone Baby Gone). Après les 5 romans suivant les aventures des détectives Patrick Kenzie et Angie Gennaro , et l'excellent Shutter Island ( que Martin Scorsese a malencontreusement raté dans les grandes largeurs) il était établi que Lehane était plus qu'à l'aise dans le genre policier. Mais ce genre est un cadre par trop restreint quand on veut décortiquer l'âme des gens. Mais on n'attaque pas un glissement vers autre chose sans se donner un coup de pouce, ainsi l'univers policier sera encore très présent dans l'excellent Mystic River. Mais " Un pays à l'aube" enfonce le clou de manière magistrale.

Dennis Lehane suit deux hommes, un noir et un blanc, deux visions des choses, deux visions de l'Amérique. Deux êtres que tout devait séparer et que le hasard et le destin vont réunir. Et autour d'eux gravitent un nombre important de personnage ( à tel point que ceux-ci sont repris au début du roman pour qu'on ne se perde pas). Un roman choral compris entre deux pôles pas si opposés au final. À travers la fuite de Luther et la mission de Danny, Lehane s'efforce de mettre en place une fresque de l'Amérique du début du XXme siècle des plus documentées et des plus réalistes. Plus que simple lecteurs, vous aurez l'impression de devenir témoin d'une époque, d'en faire partie prenante. Vous rirez, pleurerez, serez dégouté aussi parfois. La police de l'époque n'est pas des plus respectables, il s'agit presque d'un gang d'Irlandais ( les Dead Rabbits de Gangs Of New York en uniformes!!) qui agit en suivant certaines règles d'éthique, et encore, éthique est parfois un mot plus qu'incompris chez certains !

La grippe espagnole, la crise économique, la montée en puissance des syndicats pour les droits des travailleurs et la montée parallèle du bon vieux délire du complot contre le pays de la liberté, délire représenté au sein même de la famille de Danny ,et par le futur directeur du FBI : J.Edgar Hoover, sans oublier les conditions de travail de l'époque guère reluisantes (que l'on soit blanc ou noir): voila le menu !
Le tout servi avec,  comme point de mire, l'hypothétique grève de la police. Une grève inconcevable pour les esprits de l'époque et qu'il faudra absolument empêcher.

"Un pays à l'aube" ne se lit pas, il se dévore.
La rigueur d'écriture, le style fluide et envolé de Lehane et son incroyable reproduction littéraire des troubles de l'époque marqueront vos esprits dans une histoire qui tient autant du récit policier, de l'initiation, du drame comme seuls les grands auteurs américains savent le faire. Les parallèles socio-économiques avec notre propre époque sont légions, la nature humaine y est décrite comme elle est : imparfaite, violente, amoureuse, belle, vindicative…et plus encore.
On referme le livre avec l'impression d'avoir assisté à quelque chose d'important mais dont l'ampleur nous échappe encore. Un sentiment d'avoir perdu des amis soudain, tant les personnages existent en dehors des pages en s'installant dans votre mémoire pour un bout de temps considérable. À tel point qu'on en vient à souhaiter que le roman fut plus long, pour qu'on ne les quitte pas (et pourtant le livre fait ses 856 pages bien pesées!!).
Le Grand Roman américain n'est peut-être pas encore écrit, mais "Un pays à l'aube" est sans doute celui qui se rapproche le plus de ce grand fantasme de la littérature d'outre-Atlantique !
Loin d'avoir fait le tour de la question, Lehane a entamé la rédaction d'une suite thématique 
à la manière de Ken Follett ( Un monde sans fin suivant Les Piliers de la Terre, La chute des Géants précédant L'hiver du monde), Live by Night, que Ben Affleck a déja annoncé comme étant sa prochaine réalisation après Argo.

Il y a bien longtemps qu'un roman ne m'avait plus autant marqué. Ils sont extrêmement rares à avoir su s'imprimer aussi profondément en moi. Et "Un pays à l'aube" a pris la place d'honneur parmi les livres dont je garde un souvenir impérissable et dont la relecture s'imposera à moi comme une évidence élémentaire, un besoin viscéral de me replonger dans l'histoire d'un lieu à une époque donnée il y a presque un siècle et un besoin de continuer encore et encore de tenter de comprendre pourquoi l'humain, malgré toute sa splendide complexité, a si peu évolué depuis le siècle dernier.Pourquoi le monde file plein gaz vers sa sombre fin.
Et pourtant, au milieu des ténèbres de la vie, surgit encore une lueur réconfortante et qui réchauffe le cœur. Et si vous avez la chance de l'apercevoir et de la sentir, alors il ne faut surtout pas la laisser passer. Mais cette lueur qui peut apparaître, elle est de la même essence aujourd'hui qu'à l'époque...tout comme l'Amérique qui n'a pas vraiment changé depuis ce temps-là. Et si du point de vue littéraire le constat est des plus brillant, d'un point de vue humain le constat est des plus amer.

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