mercredi 29 février 2012

Hélas pauvre Yorick.


Il y a de mauvaises histoires. Des bonnes. Des passables. Des excellentes. Et il y a celles qui vous transcendent et vous marquent plus que les autres. Celles qui graviteront toujours autour de votre astre cérébral. L'histoire de Yorrick Brown, et des personnes qu'il a croisées quand son voyage a commencé, fait partie de ces histoires.

Brian K.Vaughan est un des scénaristes que je préfère dans le milieu des comic books. Il allie réflexions et divertissement d'une manière si homogène qu'aucun élément ne semble jamais être de trop : tout se marie parfaitement sans lourdeur. Que cela soit dans le cadre d'un univers super-héroïque classique (comme ses travaux pour Marvel comme Runaways ou Ultimate X-men) ou des comics plus personnels comme Ex Machina qui alliait autant politique-fiction que péripéties dignes des super-héros Marvel ou DC ( et qui bien entendu ne trouva pas son public dans nos vertes contrées…).

En Juillet 2002, un fléau mondial éradiqua tout les mammifères porteurs d'un chromosome Y. Tous ? Non, Yorick Brown jeune magicien maitre de l'évasion  (comme Houdini) au chômage et son capucin Esperluette ( c'est-à-dire le nom de ce signe " & " ) ont survécu. Pourquoi ? Mystère. Comment le fléau est-il arrivé ? Mystère. S'agit-il d'un effet papillon d'envergure apocalyptique alors que Yorrick allait demander la main de Beth, sa fiancée partie en expédition d'anthropologie en Australie ? Ou bien d'une malédiction antique interdisant au " Médaillon d'Hélène " de quitter le territoire Jordanien? Médaillon que l'agent 355 était chargée de récupérer Ou encore d'une vengeance de mère nature pour punir l'orgueil humain alors qu'un clone humain est sur le point de naître, et dont la mère, brillante scientifique, semble cacher quelque chose ? Qui sait pourquoi ? Ces trois évènements se sont déroulés en même temps. Autant de portes à ouvrir pour trouver la vérité…Autant de chemin que ces 3 personnes devront suivre et explorer ensemble.



Si le titre " Y The last man " cristallise autant les enjeux liés à la génétique ( le chromosome Y) que  ceux liés au questionnement ( Y se prononce " why " en anglais, qui veut dire " pourquoi " ). Le titre français lui renvoie carrément au registre de la tragédie grecque. Et le mélange des genres ne s'arrête pas à ces simples considérations linguistiques sur le titre de l'œuvre !

Vaughan mixe le drame, la science-fiction, le fantastique, l'aventure, l'action, la comédie, le suspense, l'étude sociologique, etc…sans jamais s'égarer, sans jamais provoquer l'indigestion. Car les genres que je cite ne servent que de décorations à un sapin de Noël bien plus vaste : la vie de ces quelques personnes jetées sur les routes dans une quête folle. L'humain et ses réactions prévalent dans l'écriture de Vaughan; les tourments, les joies, les peines, les amours traversent les cases pour former une mosaïque cohérente et évolutive  tout au long des 60 numéros américains  soit 10 tomes en VF.

Le statu quo ? La série ne connait pas ce concept ! Contrairement à l'autre grande série de comic actuelle qui utilise le thème de la fin du monde, Walking Dead, Y the last man ne s'encombre pas de poser un statu quo ,par nature éphémère dans le genre feuilletonnant , pour le renverser après 12 numéros. Le procédé est tellement éculé et prévisible que le réutiliser est presque une insulte aux lecteurs qui le voit venir à l'avance. C'est une quête, et dans un lutte en avant il n'y pas de place pour une ambiance où les héros feraient du sur-place !

Il faut dire qu'en 60 numéros, la série n'a pas le temps ni le droit au statu quo. Vaughan, dés le départ, sait où il va et comment y aller (c'est d'ailleurs pour ça qu'il sera engagé sur 3 saisons de Lost, réussissant à sauver plus que les meubles et à redynamiser cette série télé). Là encore, c'est une qualité d'écriture que l'on ne retrouve pas sur Walking dead.  Outre son scénario implacable, Brian Vaughan apporte et distille un maximum de références à la culture populaire (enfin, jusque 2002, il est évident que Yorick ne connaîtra jamais La revanche des Sith, par exemple), souvent par le biais de remarques sarcastiques de la part du héros, mais aussi à la culture américaine ( obligeant parfois le traducteur à recourir aux notes de bas de pages, mais pas toujours, ce qui est un poil gênant quant on ne saisit pas l'allusion) sans compter bien entendu la fameuse référence shakespearienne, Yorick et sa sœur Hero portant des noms d'obscurs héros du grand William puisque le père de ceux-ci était professeur de littérature.

Yorick va-t-il succomber à la tentation de tromper sa fiancée avec une diplômée en histoire de la religion ?

Les 5 premiers volumes sont une sorte d'états des lieux de l'Amérique  de l'époque. Placés dans une situation exceptionnelle, les travers du pays en ressortent d'autant plus : la politique à-la-va-comme-je-te-pousse au travers des épouses voulant succéder à leur mari sans passer par des élections ( ça se dit républicaine et ça ignore les principes de la république) , l'extrémisme religieux et sectaire ( dès le début , l'on fait la connaissance d'un groupe nommé Les filles des Amazones. Les membres sont convaincus que le fléau est la manifestation que mère nature privilégie la femme et cette certitude les pousse aux excès les plus variés : tagué les monuments phalliques, brûler les banques de sperme, se couper un sein…et bien entendu tenter d'occire notre pauvre Yorick une fois son existence connue) ou encore la conviction de l'Amérique profonde que le gouvernement ne veut que leur mal. Vaughan explore aussi la sexualité, comment continuer à prendre du plaisir si l'on est hétéro et que les hommes sont morts ? Le lesbianisme est-elle la seule échappatoire ? Mais aussi : Yorick peut-il résister et rester fidèle ? Etc...tout cela est posé avec beaucoup de doigté ( si si j'ai osé) et d'intelligence de la part du scénariste.




Les 5 autres volumes sont un tour du monde où l'on voit que la situation est vécue différemment selon les endroits et les cultures. Bien que parti d'un postulant capilotracté, Vaughan décrit sans doute de manière réaliste ce qu'il adviendrait en cas de disparition de tous les mâles de la planète. Et à part quelques délires de geeks (voir les aventures au Japon), le tout est quelque peu flippant, à l'image d'Israël qui voit dans le dernier homme le moyen de pression ultime, un peu comme leur accès à la bombe atomique l'a été en son temps ( c'est surtout pour ça que l'accès de l'Iran au pouvoir atomique les emmerde) et franchement, depuis quand Israël n'avait plus été considéré sans complaisance par une oeuvre américaine( cela change de l'habituelle complaisance envers l'état Hebreux qui se fait caresser dans le sens du poil plus souvent qu'à son tour)  ?  


Le tout nous renseigne sur la place de la femme dans le monde et surtout dans nos sociétés ou, malgré l'égalité entre les sexes, il y a encore beaucoup de jobs majoritairement dédiés aux hommes : ainsi, après le fléau, les urgences sont une vraie calamité car seule 1 femmes sur 10 est flic ou pompière, très peu travaillent dans des centrales électriques ou pilotent des avions…bref, un homme vient d'écrire un grand plaidoyer en faveurs de la femme.

Les dessins de Pia Guerra sont lisses, sans fioritures mais très classiques. Parfois un peu vides au niveau des décors. Mais en certaines occasions, lorsque deux personnages se rapprochent vraiment, il émane de son trait une grâce incroyable. Et même si cela est rare, c'est si beau qu'on pardonne tout à la dessinatrice. Les couvertures par contre ne sont pas d'elle.

Vous l'aurez compris, Y le dernier homme est une bombe totale qu'il serait malheureux de rater, surtout que la série profite d'une (bonne) traduction par Jérémy Manesse, l'un des seuls à savoir manœuvrer une barque dans ce navire en perdition que sont les éditions Panini. 

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