mercredi 12 février 2014

La pas si mal et le gros chat grognon.

Après avoir erré entre divers  projets avortés (Bob Morane, Le soldat suédois , Fantomas), Christophe Gans revient au cinéma avec La Belle et la Bête, réinterprétation d’un conte connu et reconnu.

Le conte de fée est à la mode depuis quelques années. On se souvient de la déferlante guimauve et horriblement colorée du Alice au pays des Merveilles de Tim Burton.
Suivie par Mirror Mirror et Blanche-Neige & le Chasseur (deux remises à jour de Blanche-Neige la même année à deux mois d’intervalle,ça n’allait pas arranger la réputation de manque d’originalité d’Hollywood ça).
Et on annonce Cendrillon ou La Belle au bois dormant aussi (Maléfique, du nom de la vilaine fée, produit par Disney, sort bientôt).

Nous noterons aussi  l’apparition des séries télévisées Grimm et Once Upon a time.Il faut noter que ces deux œuvres découlent d’un projet avorté d’adapter le comic book Fables à la télé : le littéraire a toujours une ou deux longueurs d’avance sur les médias audio-visuels.

Cependant, avant qu’Hollywood n’y pense (mais c’est en route, avec Emma Watson sous la houlette de Guilermo Del Toro, yeah !), le réalisateur de Crying Freeman (bien mais pas top) et du Pacte des loups ( déjà franchement mieux) nous propose de passer de la bête du Gévaudan à la bête tout court (la bête à deux dos, c’est chez Dorcel, merci !).


Histoire éternelle…

Il était une fois, deux jeunes enfants à qui leur mère lisait une histoire. C’est ainsi que s’ouvre le film : un livre dont la narratrice tourne les pages. Évidemment, vu le titre du film, vous aurez compris quel conte les bambins sont en train d’entendre (un indice: non, ce n’est pas Peter Pan ! ).

Il est difficile parfois de distinguer remake de réinterprétation (d'autre coup c’est simple par contre, Batman Begins et Batman,de Tim Burton, n’ayant pas grand-chose en commun).
Dans les deux cas, il est extrêmement ardu de juger sur pièces sans faire de comparaison avec les œuvres précédentes.
Deux versions sont particulièrement connues : celle réalisée par Jean Cocteau avec Jean Marais dans le rôle de la bête ( les mauvaises langues diront d’ailleurs que Marais était la bête à Cocteau) et bien entendu la version sortie des studios Disney (très réussie au demeurant).

Christophe Gans s’évertue donc à tenter d’entrer dans la légende. Il ne réussira pas.
Oula malheureux, ne partez pas déjà, j’en ai des choses à dire (et des bonnes, n’allez pas croire ! ).

D’un point de vue global, très global, il ne faut pas imaginer que l’attrait d’Hollywood pour les contes de fées est le signe d’une faiblesse ou d’une paresse  intellectuelle. Les contes, comme les mythes, font partie depuis longtemps de l’inconscient collectif et les revisiter revient à revisiter nos fondements : ça ne fait jamais de mal. De plus, il n’existe que 5 ou 6 structures narratives différentes : en gros, nous avons déjà tout raconté. Le sel de la chose revient donc à re-raconter du connu en changeant la recette ou en l’assaisonnant différemment.

Mais force est de constater que les tentatives américaines récentes ont lamentablement échoué (et ça ne s’annonce pas mieux dans le futur). Alors, était-ce en Europe que le genre allait être mieux traité ? Oui et non.



Le principal souci du nouveau film de Christophe Gans, c’est son scénario.
Tout le monde connaît le destin de cette jeune fille qui prend la place de son père comme prisonnière dans le château d’une bête humanoïde parlant comme un homme et se conduisant comme un animal.
Et, à partir de là, la jeune fille apprend à connaître son geôlier, nous fait un syndrome de Stockholm et tombe amoureuse de la bête qui se révèle être un Prince Charmant attendant d’être délivré (et oui, y a pas que des princesses captives dans les contes !).
Bon, perso, je préférerais être transformé en bel animal velu qu’en crapaud.

Mais l’amour ne naît pas d’un claquement de doigt. Hors, Gans foire sa narration et ses notions de temporalité à ce niveau. On a l’impression que Belle reste prisonnière 3 ou 4 jours. Soucis d’écriture ou volonté de ne pas faire durer le film trop longtemps, celui-ci ayant une vocation familiale, contrairement aux précédents films du réalisateur ?

Les relations familiales, tiens, parlons-en.
Si Dussolier, en patriarche, fait le minimum syndical (il n’est pas aidé par ses dialogues, souvent trop directs ), les 2 sœurs aînées de Belle sont in-su-ppor-tables ! Cette tête à claques d’Audrey Lamy donnant déjà envie de la baffer avant qu’elle ne l’ouvre, je ne vous raconte pas le désastre quand elle émet un son…Enfin, notons que Belle, supposée être la petite dernière, semble avoir un frère plus jeune, allez comprendre…

Elles ont été finies à la levure : elles gonflent très vite!

Enfin, la menace du film, Perducas, incarnée par un Eduardo Noriega peu convaincant (pas sa faute : il a joué en espagnol et a été double en français, ça ne pardonne pas) n’est pas assez développée pour que l’on comprenne comment, par Jupiter et ses roubignoles, il peut être aussi dangereux : il fallait un méchant et voila…dommage.

Ce manque de profondeur et de caractérisation est dommageable, surtout que le nombre de personnage fait presque passer La Belle et la Bête pour des rôles secondaires dans leur propre film.

Et pourtant, malgré ses scories irritantes et parfois horripilantes….C’est la fête !

Allons crescendo. Après les défauts, les occasions manquées.

La tête ailleurs et ce p'tit air audacieux
D'un chat sauvage sous une ombrelle
Elle ne parle pas not' langage
Elle est toujours dans les nuages
C'est bien vrai qu'elle est étrange
Mademoiselle Belle
( ah bin en fait…non)

La beauté glacée de Léa Seydoux premièrement. Face à une bête sentant le fauve et qui, dans les contes, représente souvent le côté sexuel et chaud de la chose, cela aurait pu donner un contraste intéressant. Las, le sous-texte érotique potentiel n’existe pas, cette fausse bonne idée de casting ne vient pas plomber l’ambiance, c’est déjà ça.


L’histoire d’amour ensuite…comme je l’ai dit plus haut, elle n’a pas le temps de se construire. Pire, une prise de risque intéressante (et très bien exécutée techniquement) vient un peu biaiser tout le côté « découvrir qu’un humain se cache sous le pelage ». Encore une fausse bonne idée.





Néanmoins, Christophe Gans prouve une fois de plus qu’il est un cinéphile émérite et un technicien appliqué à défaut d’un cinéaste de premier ordre. Tout, je dis bien tout, dans ce film est d’une beauté visuelle remarquable.
L’homme a parfaitement assimilé ses influences et sait les régurgiter mélangées, superposées. On pense aux films en costume d’époques, aux maîtres de l’animation (américains ou japonais). Plus sage que Le Pacte des Loups (qui transpirait la passion des cinémas) qui, en l’espace d’un plan, citait autant le western (sous la pluie encore bien, quelle force !), le film historique et le film de kung-fu, La Belle et la Bête n’en reste pas moins baigné dans cette envie de faire partager au grand public des univers avec lesquels il est peut-être moins familier.

Cette générosité se retrouve dans un montage vif lors des scènes qui en ont vraiment besoin et plus posé quand il faut (ce qui me fait dire que le film a été amputé pour une sortie en salle accessible aux enfants comme aux parents, le temps me dira si j’ai raison) : les plans s’enchaînent, lisibles et beaux.

Une beauté de l’image aussi, sans cesse : des décors fignolés, des costumes cousus mains avec soin et amour.
Si certaines images de synthèse sentent le faux à plein nez, elles ne sont jamais laides et font baigner le film dans une ambiance de conte de fée live jamais atteinte auparavant !

La Bête profite d’un beau design, même s’il est un peu trop sage à mon goût : on dirait un chat de taille humaine (certaines peintures préparatoires misaient plus sur le lion) et je m'attendais parfois à voir Belle s'enfuir en tentant de le distraire avec une baballe qui fait du bruit...

Cassel a tourné ses scènes en costume (une armature lourde : il en a perdu 10 kilos) et son visage a ensuite été retravaillé par ordinateur (pas de méthode Avatar).



Le personnage est une sorte de Dracula (celui de Coppola) avec son costume rouge, son aura vampirique (faites attention aux mouvements de la cape) mixé avec un lycanthrope :ses ...habitudes culinaires ne laissent aucun doute sur sa parenté avec ces monstres sacrés du genre fantastique: châtelain esseulé dont la nature sanguinaire a pris le dessus sur l'humanité depuis un long moment.



L’ambiance est teintée de paganisme et laisse la lecture chrétienne sur le carreau, un vent de fraîcheur où flotte des nymphes, Pan et d’autres. L’élément aquatique est aussi grandement mis en avant comme avec la fontaine magique ou des miroirs ondulants, fenêtre vers des époques antérieures.
Le mélange d'époques est aussi présent dans l'architecture du château, emprunt du gothique ou du style renaissance italienne.

Mais à force d’être généreux envers tout le monde, on finit par se disperser.
La Belle et la Bête est un très beau film, très bien réalisé, très bien fait.
Mais il est comme une toile peinte avec une minutie maniaque sans  y mettre tout son cœur : c’est plastiquement magnifique…mais c'est aussi trop froid et distant pour qu’on puisse y entrer.
Et les défauts phagocytent la chose, comme des taches d'encre noir sur une feuille blanche.

Une curiosité pour esthètes et cinéphiles.
Les autres, préférez la version de Disney, très bonne et brassant plein de thèmes intéressants (si si, je vous assure!) et surtout, dégageant 3 fois plus d'émotions avec 30 minutes de moins.

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