jeudi 12 novembre 2015

Prendre le Del Toro par les cornes !

Deux ans après le jouissif Pacific Rim, Guillermo Del Toro nous revient avec Crimson Peak où se mêlent romance gothique, maison hantée et tout un tas de références. Décryptage !

À l’âge de 10 ans, la petite Edith Cushing ( ah, ça y est , les références commencent : Edith Wharton était une romancière, Peter Cushing était un acteur abonné aux films d’horreur de la Hammer ) voit le fantôme de sa mère la mettre en garde contre Crimson Peak.
Un avertissement qu’elle ne comprend pas et qui laisse la jeune fille terrorisée et marquée à vie.
Devenue adulte et la fierté de son père, Edith se voit écrivaine mais son manuscrit d’histoire de fantômes est rejeté par un éditeur qui voudrait qu’elle y adjoigne une histoire d’amour ( car elle est une femme alors écrivez comme telle mademoiselle, non mais ! ).
Alors que toute la bonne société la voit finir vieille fille comme Jane Austen, Sir Thomas Sharpe arrive en ville depuis sa lointaine Angleterre, accompagné par sa froide sœur Lucille.
C’est presque le coup de foudre entre le baronet et l’écrivaine. Après quelques péripéties romantiques, Thomas ramène Edith chez lui, à Crimson Peak ! L’atmosphère du lieu ne tarde pas à choquer Edith, tout comme l’attitude de Lucille ou des domestiques à son égard. Mais très vite, ce sont les fantômes de l’endroit qui vont attirer son attention…

Guillermo Del Toro est un cinéaste passionné (et passionnant) : il a tant luté pour devenir réalisateur qu’il ne travaille avec aucune seconde équipe de tournage et qu’il va jusqu’à shooter lui-même les inserts. Il aime avoir le contrôle sur l’image (et on le comprend) et celle-ci se retrouvent donc bourrées de références, de symboles, de couleurs ( et oui, à une époque où le pseudo-réaliste et le tristounet sont de mise, Del Toro reste l’un des rares réalisateurs à oser les couleurs bien vives et voyantes pour faire passer des messages. Il rejoint en ça Zack Snyder, autre réalisateur à aimer harmoniser les couleurs ; et puisque les deux le font avec des sensibilités différentes, c’est tout bénéfice pour les yeux des spectateurs ! ).

La réalisation classique, classe et sobre de Del Toro joue avec les attentes des spectateurs en détournant des figures archétypales des contes de fées ( le prince charmant, la belle-mère, etc...) pour surprendre le public et s'amuser avec les codes des récits gothiques à l'Européenne ( grandeur et décadence des vieilles familles aristocratiques, les sentiments qui restent intériorisés et qui finissent par empoisonner ceux qui les ressentent, etc...).  La musique enveloppante et non envahissante ajoute une jolie couche à l'atmosphère générale du film ( tout ça pour rappeler que : le cinéma est un art collectif ! ).


Deux hommes ( un noble étranger et un autre,l' ami d'enfance), une femme. Un ressort classique mais toujours très efficace.

Cinéphile enragé, Del Toro va donc convier les fantômes du cinéma : que ça soit le cinéma d’horreur classique au plus baroque ( on pense parfois au Dracula de Francis Ford Coppola ). Il va aussi allègrement s’auto-citer. Parce qu’il s’agit d’un film somme ou parce qu’il a conscience d’être lui-même devenu une référence du cinéma actuel (et donc, autant couper l’herbe sous le pied de ceux qui voudraient en faire une source trop ouverte d’inspiration ? ) ? Difficile à dire. Mais Crimson Peak aura donc la particularité de brouiller les théories au sujet de son cinéma. Les milieux plus élitistes considèrent volontiers que la filmographie du monsieur se découpe en deux : les films hollywoodiens d’un côté, et les films sérieux tournés en espagnol de l’autre.
Il n’en est rien : sa filmographie est tout à fait cohérente dans son ensemble, charriant les mêmes thèmes et les mêmes obsessions de long-métrage en long-métrage.
Ainsi, il convie autant L’échine du Diable que Hellboy 2 (entre autres) dans ce dernier film et invite certains acteurs avec qui il avait déjà travaillé ( chose qu’il apprécie ).


Difficile de ne pas voir une certaine ressemblance entre les vêtements de Lucy Westenra ( Dracula) et ceux d'Edith (Crimson Peak).

Sa passion des mécaniques ? Toujours présente à travers les projets de Thomas Sharpe. Son obsession des insectes ? Idem (centrée ici essentiellement sur les papillons & les phalènes et les métaphores qui en résultent). Son amour des livres ? Présent également. Chez Del Toro, la personne qui lit a accès à des vérités cachées qui lui font avoir une longueur d’avance ( dès lors, le lecteur n’est pas forcément le héros, il peut également être le vilain : le rapport direct qu’ont les personnages avec les livres est tout à fait révélateur des caractères chez Del Toro ) : ainsi, le jeune Allan, médecin, lit des ouvrages de médecine mais aussi Conan Doyle (et s’imagine détactive). Mais Edith, est écrivaine : plus que lire, elle écrit et possède donc un rapport encore différent à ce savoir. Logique qu’elle ait dès lors accès au monde des ombres, carrément.

Le jeu de pistes référentielles continuent puisque si Del Toro créent des personnages lecteurs, c’est parce qu’il en est lui-même un depuis tout petit et également un écrivain depuis quelques années : des comics aux grands classiques , cet insatiable boulimique de culture entrepose sa collection dans son cabinet de curiosités Bleak House !





Quelques pièces de Bleak House, le cabinet de curiosités de Guillermo Del Toro.


Crimson Peak charrie donc les sœurs Brönte, des Hauts de Hurlevent à Jane Eyre ( qui a été interprétée par l’actrice qui incarne Edith, Mia Wasikowska) en passant par Rebecca de Daphnè du Mourier ou encore La chute de la maison Usher d’Edgar Allan Poe. Des lectures de Del Toro mais également des films : nul doute que ce nounours de réalisateur a été marqué par les deux approches.


La maison, personnage à part entière, .Et invoquer l'imagerie des murs qui saignent sans grand guignol ni explication spectrale est très fort et bien pensé.


Dans les rôles principaux, nous avons déjà vaguement évoqué Mia Wasikowska : son charme discret et son jeu qui ne tombe jamais dans l’excès nous font très vite trouver la jeune femme sympathique et attachante. Tom Hiddleston , dans le rôle de Thomas, est à la fois charmant et inquiétant : l’acteur, au demeurant très bon, profite qu’il a joué le dieu Loki pour Marvel, personnage éminemment double, ce qui permet à Del Toro de jouer avec les spectateurs qui s’attendent à une certaine approche du rôle. Jessica Chastain quant à elle incarne Lucille, la sœur froide, mais capable d’exploser, de Thomas. Chastain avait déjà travaillé pour Del Toro ( dans Mama dont il n’était que le producteur). Elle et Hiddleston portent des perruques noires et certains types de vêtements destinés à faire avaler qu’ils sont frères et sœurs (alors que les deux acteurs n’ont bien entendus aucun lien de parenté) : et rendre cela à l’image crédible d’un coup d’œil est assez balèze.





Certes, le film possède quelques menus défauts : l’arrivée à Crimson Peak est assez tardive, l’aspect un peu ampoulé des dialogues peut faire légèrement sourire (mais il s’agissait avait tout de coller au style des romans gothiques du 19ème siècle et à leur lyrisme si particulier), l’héroïne comprend un peu trop vite ce qui se trame (et nous avec : la faute à une intro trop longue mais si belle avant d’entrer dans la maison mystérieuse des Sharpe ) et le rebondissement final jure énormément avec le reste du film (encore que, est-ce vraiment une mauvaise chose ? Cela jure certes, mais cela surprend et a le mérite de secouer le public en dehors de la zone de confort qu’il pensait avoir construite durant la majeure partie du film).

Aucun chef-d’œuvre n’est parfait, car la perfection n’est pas de ce monde. Mais un chef-d’œuvre, en voila un, assurément !

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